LA FEMME TONDUE 

 

  Anton Prinner 1945

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La

Mise en scène Emma Morin

Mise en son Stephan Krieger

Construction François Fauvel

 

 

Avec Frédéric Jouanlong, Emma Morin, Gilbert Traïna et la voix de Laurence Chable.

 

 

Co-production La Fonderie Le Mans , Théâtre de Nîmes

Avec le soutien de la Ville d'Issoudun

 

 

 La Fonderie/Le Mans les 4, 5 et 6 novembre 2015

 Théâtre de Nîmes les 24 et 25 novembre 2016

 

 

Ecrit en 1945, vivement salué par Artaud et Breton, La femme tondue est le seul texte de l’artiste sculpteur et graveur. Prinner,  sculpte la résistance en forme d’ange guerrier. Le sacrifice,  vengeur, d’inspiration Naturelle et cosmogonique consume l’oppression.  L’univers poétique est baigné d’un syncrétisme nourrit de traditions mythiques et d’ésotérisme : il mêle prédisposition naturelle et réception d’une connaissance intuitive .

 

 

Née femme à Budapest en 1902, Anton Prinner arrive en France à 25 ans, où elle prend une identité masculine. Bien qu'attaché à la Hongrie, elle n'y retournera jamais et réalisera sa carrière en France, où elle décède en 1983. Formée aux beaux-arts de Budapest, elle est d'abord proche du Constructivisme, puis fréquente d'autres artistes hongrois à Paris, comme Victor Brauner, Arpad Szenes, mais aussi Picasso, des galeristes comme les frères Loeb, qui lui permettent de développer une manière très personnelle, à la fois figurative mais aussi symboliste et ésotérique. Sculptures de bois, de plâtre ou de métal ; gravures dont elle expérimente les différentes techniques, peintures et dessins , objets ou encore céramiques , l'artiste se veut d'abord sculpteur. "Prinner, le hongrois" sera ce petit homme énigmatique aux traits aiguisés, maintes fois photographié par André Villers, Emile Savitry, Walter Limot et Denise Colomb au milieu de ses sculptures dans l'entresol de la rue Pernéty à Paris ou à la poterie du Tapis Vert à Vallauris.

 

 La figure de l’ange , de l’androgyne ou être primordial, de la nouvelle essence, de l’ état de condensation qui concilie les contraires et rapproche les réalités, est souvent présente dans l’oeuvre de l’artiste . Le corps est le lieu-matériau, identité de la chair, autant que force magique; et l’alchimie est composante poétique, ses silhouettes cheminent dans toute l’oeuvre. Après une période constructivisme à partir de 1932, Prinner entre dans l'atelier de William Hayter pour y apprendre la gravure. Sa période figurative commence en 1937 avec La femme taureau en granit. Il réalise sa première sculpture en bois en 1940 (La femme à la natte). En 1947, il réalise pour l'éditeur J.Godet l'illustration du Livre des Morts des anciens Egyptiens : son intérêt pour l'Egypte le pousse à inventer la papyrogravure, procédé à l'aide duquel il tire elle-même ses gravures de l'apocalypses. En 1950, il s'installe à Vallauris au Tapis Vert, contre l'avis de ses amis Arpad Szenes, Vieira da Silva, Picasso, Pierre Loeb, André Breton, Jean Paulhan et Jacques Prevert.  Il y réalise des céramiques, des assiettes, un jeu d'échecs. De cette époque date aussi L'homme, statue monumentale en bois de 4,40 m et les plâtres Le Mendiant et Vieillesse.

 

 

 

 

 

 

La Femme tondue est aussi donnée en Lecture : la création a eu lieu à Vence le 12 Juin 2015, dans le cadre de la programmation de Vence Cultures.

 

remerciements à Agnès Falcoz et son équipe, Sébastien Ardouin Dumazet

 

DANS LA SALLE DES MEULES QUAND DES CHEMINEES SAUTILLENT, QUAND DES DOIGTS PERCENT LES MURS par Yves Ughes


Au début le Verbe n’est pas. Les mots sont nichés dans les marges d’un silence qui dure, interroge et perturbe.
Ils explosent enfin, comme autant de déflagrations Salope Putain Charogne.
Nouveau silence, puis Fumier Dégueulasse Ordure


Où va - t - on ? On se trouve - t - on ? L’occupation de la scène offre des repères comme autant d’éléments de recomposition.
Une table occupée par deux hommes. La table n’est pas –n’est plus ? - le lieu du partage. Elle est espace de pouvoirs, de paroles, d’invectives, de règlement de comptes. Hors d’elle, en marge, une présence féminine prise dans l’inacceptable silence.


La hargne se déverse. La bave tombant de ces mentons qui tremblent de haine balise le chemin qui mène au coeur de notre époque. Femme Tondue, Exclu, Etranger, qu’importe le support, le tout est de nourrir l’ivresse de la haine. Le message va au-delà du politique, il s’ouvre sur la métaphysique, l’ontologique.


Au coeur de notre condition humaine, ce mystère d’exister en détruisant l’autre, en le mutilant, en jouant avec ses cheveux, son corps. Tout se passe comme si l’être ne pouvait s’aimer et, partant, ressentait l’irrépressible besoin de se vider, en cultivant son goût du lynchage, la permanente tentation de la lapidation. Ne s’imposent que le
saccage, le sauvage ; l’exigence monte, psalmodiée : du sang, du sang… C’est le massacre des charognes.


La femme tondue porte en elle et sur scène la série macabre des corps dé-mantelés : sorcières, traîtresse, prophète aussi : elle seule utilise le futur de l’indicatif. Et le futur toujours dérange. A éliminer donc. Que tous les pécheurs jettent leur pierre.

 

Le texte s’avère dense et fait écho à nombre de mots et d’images. On pourrait y croiser le Pier Paolo Pasolini des 120 Jours de Somode et Gomorrhe ou encore les Evangiles. Après le procès final, le cataclysme intervient, comme le ciel se déchire après la mort du Christ.

 

Sauf qu’ici, Dieu n’est plus. S’il a été un jour son action s’avère calamiteuse, sorti de tripes égoïstes, l’homme porte en lui toutes les formes de la destruction.

 

Ne vous attendez pas à identifier des personnages typifiés. Les contours et les repères sont gommés. Seules se superposent des inflexions diverses, des intonations variées. Ce qui revient à souligner l’excellence de la mise en scène et le travail d’interprétation. Est exclu tout soupçon de complaisance. Le verbe et le geste sont taillés à l’os, dans l’épure et l’intensité.


Dans l’instant final la femme tondue incarne ainsi une volonté infinitésimale d’être, par un déploiement millimétrique de son corps.


Car dans le cataclysme une trace d’humanité demeure et elle se place dans la parole humaine. L’oeuvre multiplie ainsi les voix pour créer un véritable poème polyphonique : ici, un chant baroque des cheminées sautillent, des doigts percent les murs et les portes pour maudire Dieu et les morts, plus loin la voix éructe, plus loin encore
elle se défait dans l’effort de dire, ou s’étouffe en sanglots.


Egalement touchée par le désastre du vivre, la langue devient ainsi sursaut de vie, preuve de vitalité, désir de partage.


La preuve est faîte: un texte peut être marqué par la noirceur, il n’est en pas moins un message d’espoir puisque, par-delà les misères de notre condition, il demeure un appel, il suscite la rencontre et, finalement, révèle en nous
une part d’humanité trop souvent insoupçonnée, enfouie.

 

 

 

 

REVUE DE PRESSE THEATRE DE NIMES NOVEMBRE 2016 :

Revue presse Théâtre de Nîmes
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Je me demande ce qui est moi. Non pas moi au milieu du corps, car je sais que c’est moi qui suis dans ce corps et non un autre, et qu’il n’y a pas d’autre moi que le corps ni dans mon corps, mais en quoi peut consister ce moi qui sent ce qu’on appelle être, être un être parce que j’ai un corps.

 

Antonin Artaud - Cahiers de Rodez  in Oeuvres complètes XVI GALLIMARD1981

 

 

Ce qui fait le poids, l'épaisseur, la chair de chaque couleur, de chaque son, de chaque texture tactile, du présent et du monde, c'est que celui qui les saisit se sent émerger d'eux par une sorte d'enroulement ou de redoublement, foncièrement homogène à eux, qu'il est le sensible même venant de soi, et qu'en retour le sensible est à ses yeux comme son double ou une tension de sa chair.

Merleau-Ponty - Phénoménologie de la perception GALLIMARD 1945

 

  

La barbarie n’est pas un commencement, elle est toujours seconde à un état de culture qui la précède nécessairement et c’est seulement par rapport à celui-ci qu’elle peut apparaître comme un appauvrissement et une dégénérescence.

 

Qu’est-ce donc que la culture? Toute culture est une culture de la vie, au double sens où la vie constitue à la fois le sujet de cette culture et son objet. C’est une action que la vie exerce sur elle même et par laquelle elle se transforme elle-même en tant qu’elle est elle-même ce qui transforme et ce qui est transformé.

a barbarie n’est pas un commencement, elle est toujours seconde à un état de culture qui la précède nécessairement et c’est seulement par rapport à celui-ci qu’elle peut apparaître comme un appauvrissement et une dégénérescence.

 

Qu’est-ce donc que la culture? Toute culture est une culture de la vie, au double sens où la vie constitue à la fois le sujet de cette culture et son objet. C’est une action que la vie exerce sur elle même et par laquelle elle se transforme elle-même en tant qu’elle est elle-même ce qui transforme et ce qui est transformé.

 

Michel Henry - La barbarie PUF 1987

 

 

Si la violence, conçue, certes, comme un usage immoral de la force, peut parfois se prévaloir de motifs justes dans le cas où elle permet de s’opposer à l’oppression ou, selon les circonstances, d’empêcher un mal plus grand, la cruauté, elle, rend perplexe en ce qu’elle se prévaut de passions négatives comme la peur ou l’angoisse. Quelle que soit la nature qu’on lui prête - folie, sadisme ou désinhibition permettant la levée de tous les interdits -, qu’elle implique ou non une jouissance chez celui qui la commet - bourreau, tortionnaire ou massacreur -, qu’elle s’intègre dans un rituel, donc dans l’éthos d’une communauté qui la légitime, elle reste un acte de démesure sans visée autre que l’excès. Sauf, pourrait-on concéder, quand elle cherche à effrayer comme dans le cas des attentats terroristes. Toutefois, ce calcul peut se révéler diabolique car au lieu de faire céder l’adversaire, il arrive qu’il suscite une surenchère : la cruauté des uns justifiant celles des autres favorise un retour à l’état de nature hobessien dans lequel l’homme est un loup pour l’homme. c’est ainsi qu’après le 11 septembre, il s’est trouvé aux Etats-Unis, des intellectuels pour proposer d’exécuter immédiatement tout suspect d’acte terroriste au lieu de le juger, et cela au nom de la nécessité pour la démocratie de mener une guerre sauvage afin de préserver la paix. On peut par ailleurs, considérer que l’autorisation donnée à la CIA par l’Administration Bush d’assassiner les auteurs d’actes terroristes tout comme les mesures d’exception faisant fi des conventions internationales et permettant l’emprisonnement sans jugement sur la base aérienne de Guatanamo de suspects arrêtés en Afghanistan participent de cette répression qui s’exonère de l’éthique et alimente, en retour, la haine des jihadistes. La cruauté ne connaît pas de fin, par son aspect implacable et entraînant elle renvoie à une forme de nihilisme. 

 

Michel Erman - Essai sur la passion du mal PUF 2009

 

 

 «Bien après les jours et les saisons, et les êtres, et les pays,

      Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques; ( elles n’existent pas. ) 

      Remis des vieilles fanfares d’héroïsme - qui nous attaquent encore le coeur et la tête - loin des anciens assassins - 

      Oh! Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques  ; ( elles n’existent pas. ) 

      Douceurs!

   Les brasiers, pleuvant aux rafales de givre, - Douceurs! - les feux à la pluie du vent de diamants jetée par le coeur terrestre éternellement carbonisé pour nous. - Ô monde! - 

    (Loin des vieilles retraites et des vieilles flammes qu’on entend, qu’on sent, )

     Les brasiers et les écumes. la musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres. 

   Ô douceurs, ô monde, ô musique! Et là, les formes, les sueurs, les chevelures et les yeux, flottant. Et les larmes blanches, bouillantes, - ô douceurs! - et la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques.

    Le pavillon...»                                        

 

Arthur Rimbaud, Barbare, Illuminations